Un marché aux puces (1980)

"...Cela dit, je crois volontiers que l'écrivain plongeur en souvenirs est facilement guetté, circonvenu par toutes les sirènes de la littérature trop heureuse de l'aubaine et toujours prêtes à s'amuser d'un ludion, entre autre. Le style en effet n'est pas seul en cause, mais aussi la composition.  Je n'insisterai pas sur tout ce qui sépare le teneur de journal et le mémorialiste. N'empêche que celui-ci n'est pas moins disposé, lui aussi, à conduire son affaire dans l'ordre chronologique, réputé logique autant qu'instinctif et dont nul ne douterait qu'il soit de rigueur pour la conservation intelligente de nos temps et lieux. Or, quand il s'agit de ne restituer que les souvenirs personnels qui feront le matériau nécessaire et suffisant de l'entreprise, la mémoire ne tardera pas à vous jouer des tours, n'en faire qu'à sa tête et vous jeter dans les associations d'idées les plus buissonnières. On s'apperçoit alors que la mémoire, en fin de compte, est un milieu des plus désordonnés, anachronique au vrai sens du mot. Ce n'est pas dire qu'elle soit étrangère aux notions jumelées du ci-devant et du ci-après, du rétrospectif et de l'anticipé, mais elle en use avec un tel entrain et tant de liberté que nous voilà nous aussi toujours prêts à battre la campagne sans scrupule et de bon coeur au seul risque de passer les bornes."

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Parution :

  • Edition originale, Julliard, Paris, 1980
Gravure sur bois de J. Perret
Le vilain temps
Actes du colloque de 2005 à la Sorbonne
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