"La nuit était assez claire pour naviguer sans péril et les femmes éteignirent les torches devenues gênantes pour les pagayeurs. Ainsi glissait, tous feux éteints, la flotille famélique, dans le doux murmure des flûteaux aigrelets et des mélopées nasillardes, car il importait de ne rien négliger du programme sacré. D'heure en heure les calebasses de cachiri circulaient de bouche en bouche et les pagayeurs, basculant sur la nuque leurs plumes emmêlées, arrondissant les lèvres et fermant les yeux, rejettaient avec un gémissement de plaisir les lourdes vapeurs de la boisson divine. Puis le frottement des pagaies rythmait à nouveau la rumeur des litanies bourdonnantes..., les ombres passaient, emportées par le courant et parfois de petits gloussements joviaux fusaient entre les rives noires comme si Charon, ce soir-là, eût embarqué quelque défunt facécieux."
(c) Gallimard, 1936
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