La compagnie des eaux (1969)

"Si la tempête est souvent comparée à une espèce de bataille, c'est qu'on la suppose déchaînée contre un navire ou un môle. Or, la mer n'a besoin de personne pour faire une tempête, laquelle d'ailleurs, sous les pires apparences, n'est animée d'aucun esprit combatif. En plus, toutes les tempêtes se ressemblent ; l'agitation des flots, leurs bruits et couleurs, les gammes de la brise, les mouvements et éclairages du ciel font des spectacles assez peu variés, on prendrait facilement les uns pour les autres. Seul un spécialiste ou un farceur pourrait dire : ça c'est une rafale de pampero en avril-mai sous les coups de midi à trente milles au plus de Bahia, ou bien : c'est une queue de cyclone floridien des années 20-25 dans le sud des Bahamas, ou encore : voici tout craché un beau coup de noroît sur la Manche automnale dans les eaux de Barfleur, époque Restauration. Mais pour le commun des navigateurs et des passagers, c'est toujours pareil et quant à moi je trouve que les grosses lames, les grosses lames toutes seules en motif de peinture, c'est très calé mais rien de plus rasoir sinon les cimes alpestres. Ou alors qu'on y mette la moindre voile ou cordée. C'est pour dire que les tempêtes éprouvées ou racontées ne se distinguent dans nos souvenirs que par les bateaux et les gens qui en firent les frais. C'est pourquoi je ne veux parler que des tempêtes habitées, autrement dit : pas de tempête sans bateaux."

(c) Droits réservés

Parution : 

  • Edition originale, Gallimard, Paris, 1969
  • Collection Soleil, Gallimard, Paris, 1969
Gravure sur bois de J. Perret
Le vilain temps
Actes du colloque de 2005 à la Sorbonne
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