Cheveux sur la soupe (1954)

"L'année dernière, à l'exposition des toiles envoyées par les candidats au prix Othon Friez, il y avait, comme de juste, un petit lot de vrais peintres et un grand nombre de barbouilleurs à la recherche éperdue d'eux-mêmes. Le narcissisme philosophique en deux traits de fusain ou trois kilos de peinture nous est prodigué à longueur de cimaise. La recherche de soi-même est aujourd'hui la sacrée caution de l'artiste; quand il ne trouve rien, sa recherche est dite pathétique, et quand il se perd dans le bourbier de sa palette, la critique n'est pas en peine d'exalter sa déroute, de justifier son pastis et de lui insuffler une transcendance dont l'artiste lui-même demeure épaté, car la littérature est non seulement capable de tout expliquer, mais de répondre à des questions qui ne lui sont pas posées. C'est son métier. Elle pourrait peindre elle-même puisque peindre est l'affaire de tout le monde, et s'approprier aisément les lauriers de l'artiste, mais elle connaît le prix de la distinction des genres et préfère inventer un artiste à sa merci. La peinture vraiment moderne doit l'existence au talent de ceux qui en écrivent. Le tableau n'est rien tant que la critique n'y a pas tourné sa salade; et quel plus beau saladier que la peinture abstraite ?"
(c) Droits reservés

Parution :
  • Gallimard, Paris, 1954
Gravure sur bois de J. Perret
Le vilain temps
Actes du colloque de 2005 à la Sorbonne
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