Le danger majeur de l'essai littéraire est de s'apparenter à la taxidermie. Loin des trophées ternes et figés, Jacques Perret nous fait visiter son ranch. Là, les écrivains, comme des bêtes, renâclent, brament, pleurent et chient tout leur soûl : Rabelais s'en met partout, Vigny est roide et piaffant, Balzac, bestial et finaud, matoisement balourd. Puis ce sont un Dumas démoucheté, un Flaubert bouchonné, et encore Poe, Barbey, Renard, Vialatte, London. Voilà, tout ce monde est atrocement vivant. Perret nous les sort, les ferre, les selle et les fait trotter sous nos yeux, dans nos têtes, en une parade à mi-chemin entre le commentaire et la dégustation amicale. Et c'est la seule critique viable : celle d'un écrivain décrivant amoureusement d'autres écrivains.
Il s'agit d'exercices, voire de figures imposées, mais toujours plein d'élégance, de désinvolture ou d'ironie chatoyantes. Et puis Perret peut y chanter les vertus de deux choses si chères dont il
parle si bien : le passé et le style.
(…)
Anachronique avec volupté, imprécateur avec des préciosités irrésistibles, rebelle pénétré des vertus du respect, Jacques Perret reste un écrivain qu'il serait injuste de ne pas faire figurer en
jolie place dans le panthéon de la grande littérature de France.
Hervé de Saint-Hilaire, Le Figaro littéraire, 6 juin 1996